Mobiliser vos équipes et votre écosystème dans un monde en perte de repères : vers le développement d’une spiritualité organisationnelle?

Ce texte a été initialement publié dans La référence, sous la citation EYB2025BRH2754. Le texte ne pourra être publié ou diffusé par moi ou mon bureau sur un site Internet tiers.

Résumé

Alors que le monde semble devenir plus chaotique que jamais, la recherche de sens (clé de la mobilisation des équipes) au sein des organisations est de plus en plus présente. Dans cet article, nous explorons les éléments sur lesquels les organisations peuvent s’appuyer pour mobiliser quand les repères traditionnels disparaissent les uns après les autres.

Introduction

Cela fait des années que l’on parle du contexte du monde VICA (volatile, incertain, complexe et ambigu) pour rappeler la nécessité de donner du sens à ses équipes pour qu’elles gardent le nord et ne soient pas trop déboussolées. Les organisations avaient déjà de la difficulté à s’adapter et se réinventer en continu dans un environnement incertain. Alors, comment cela pourrait-il être possible si nous entrons dans une période de chaos comme le sous-entend le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres[1] ? Les organisations vont devoir être plus vigilantes que jamais en ramenant un minimum de « connu » et de stable en leur sein pour garder un minimum de mobilisation au sein de leurs équipes.

I– Comprendre la perte de sens dans les organisations

Quelles que soient les générations, la quête de sens en travail est devenue une aspiration centrale des employé(e)s. Malgré les efforts faits dans les organisations, de nombreuses personnes parlent de décisions ou de projets qui ne font pas de sens, qui ne sont pas alignés avec leurs valeurs.

La perte de sens est un sentiment profond qui consiste en ne plus comprendre la finalité de ses actions, en l’impression d’être déconnecté(e) de la mission de son organisation ou encore en la perception de l’absence d’impact positif.

Les équipes ont besoin de comprendre le pourquoi de leurs actions et de quelles manières les projets sur lesquels elles travaillent sont cohérentes avec la mission et les valeurs de l’organisation ou encore les besoins des clients.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la perte de sens.

  • Premièrement, le rythme intense du travail et la recherche de l’ultraperformance rendent parfois difficile la prise de recul et de temps nécessaire pour réfléchir au « pourquoi » des actions et décisions quotidiennes.

  • Deuxièmement, la nécessité de toujours s’adapter à son environnement, dans des délais serrés, ne favorise pas une bonne gestion du changement qui peut être bâclée, voire inexistante. Les équipes se retrouvent alors à devoir exécuter des décisions qu’elles ne comprennent pas, souvent parce qu’elles n’ont pas été impliquées suffisamment en amont faute de temps.

  • Troisièmement, on peut se demander si cette perte de sens organisationnelle n’est pas le reflet de la perte de sens au niveau de la société. Dans son article De la bienveillance à la bienfaisance[2], Delphine Jouenne soulève un point intéressant : « La société ayant perdu une partie de sa dimension spirituelle, c’est l’entreprise qui, désormais, se réapproprie un vocabulaire initialement religieux pour alimenter la quête de sens de ses collaborateurs ». On voit cette tendance dans l’implication de plus en plus grande des organisations avec leurs programmes de dons et commandites, ou encore de bénévolat dans la communauté. Assiste-t-on à l’émergence d’une nouvelle forme de spiritualité où la quête de sens se fait à l’intérieur même des organisations ? On peut alors s’interroger sur le rôle que les organisations peuvent alors réellement jouer, en complément de la société civile et politique. Explorons comment cela peut se traduire dans les organisations.

II– S’appuyer sur un cercle solide de valeurs

L’avènement du télétravail a brouillé les frontières entre le travail et la vie personnelle. Les employé(e)s, notamment les plus jeunes, mais pas seulement, ne veulent plus nécessairement que leur travail les définisse, mais celui-ci devrait malgré tout être cohérent avec les valeurs personnelles, et permettre à chacun(e) de se réaliser.

Si le travail n’est plus perçu comme un marqueur identitaire absolu, il ne doit pas pour autant être vidé de sens. Les employé(e)s recherchent désormais une certaine cohérence entre leurs engagements personnels et leur activité professionnelle. Le travail ne doit donc pas être en contradiction avec l’éthique et les valeurs personnelles. C’est d’autant plus vrai avec la guerre commerciale qui commence avec les États-Unis.

Si toute la responsabilité de la quête de sens ne repose donc pas uniquement sur les épaules des organisations, elles ont tout de même un rôle important à jouer pour remobiliser leurs équipes autour de valeurs fortes, alignées avec les aspirations de leurs employé(e)s.

Ces valeurs sont le reflet de la culture que l’on souhaite avoir au sein de ces organisations. Or, elles sont souvent sous-utilisées dans la mesure où elles restent de simples mots affichés sur un site internet ou sur des murs.

En tant que levier important de la mobilisation, les ressources humaines peuvent jouer un rôle déterminant en s’assurant qu’elles sont portées par chacun(e), y compris par la haute direction. Dans le contexte de polarisation et de mise à mal des valeurs humanistes par les dirigeants des États-Unis, les organisations ont une opportunité pour clamer haut et fort les valeurs qui les animent, et ainsi mobiliser leurs équipes autour de projets qui auront du sens. Mais quelles valeurs mettre de l’avant ?

Nous nous référons souvent au modèle de Richard Barrett [3]pour définir la culture organisationnelle. Dans un contexte où l’avenir est incertain en raison de la guerre commerciale, il pourrait être pertinent de rassembler les équipes autour de valeurs comme :

  • La fierté : de vendre des produits ou des services canadiens (ou des provinces et territoires).

  • L’engagement dans la communauté : pour soutenir les producteurs locaux.

  • La créativité : pour trouver de nouveaux débouchés ou marchés, Européens ou Sud-américains.

  • La conscience environnementale : afin de garantir l’avenir des générations actuelles et à venir.

  • L’intégrité et l’éthique : pour s’assurer que le travail se fait dans le respect des communautés locales ou selon de hauts standards d’excellence.

  • L’épanouissement des employé(e)s : en misant sur l’accompagnement de ses équipes et en leur permettant de se développer.

  • L’équité et l’inclusion : qui sont des marqueurs forts de notre société et qui permettent d’aller chercher des perspectives différentes et complémentaires. C’est dans la différence et non l’uniformité que les organisations trouveront des avenues créatives pour résister aux conséquences de la guerre commerciale.

À défaut d’avoir une vision à court terme claire en raison des fluctuations rapides, ces valeurs permettront d’être une boussole pour les employé(e)s dans les décisions qu’ils ou elles auront à prendre pour contribuer à la survie et à la pérennité de leur organisation. Elles constituent également un élément distinctif pour les client(e)s qui souhaitent aussi avoir un impact positif pour leur société.

La dernière valeur (épanouissement des employé(e)s) est particulièrement importante, car il a été démontré qu’elle avait un impact majeur sur la qualité de l’engagement des employé(e)s.

III– Miser sur le développement personnel et professionnel des équipes

Selon Gallup[4], diminuer le nombre d’employé(e)s désengagé(e)s a un effet positif sur plusieurs éléments :

  • Diminution de l’absentéisme, du roulement dans les équipes, des accidents et incidents de travail.

  • Augmentation de la loyauté, de la productivité et de la profitabilité.

Toujours selon le rapport de l’année 2024, les organisations qui ont diminué le niveau de désengagement ont travaillé sur trois éléments :

  • Intégration de l’engagement à tous les niveaux de l’expérience de leurs employé(e)s.

  • Emphase mise sur le bien-être au travail et à la maison.

  • Recrutement de gestionnaires avec de fortes habiletés de mobilisation et de coaching (ces organisations « forment leurs managers pour qu'ils deviennent des coachs efficaces, capables de fournir régulièrement un retour individuel pertinent qui inspire une meilleure performance future. »)

Ce dernier point nous intéresse particulièrement, car amené au rang de valeur organisationnelle, il permet de mettre l’accent en continu sur ce qui permet d’aller chercher l’engagement des équipes.

Point important :  toujours selon le rapport de Gallup, coacher ses équipes et les amener à grandir au sein de l’organisation ne signifie pas que l’on oublie la performance. « Les gestionnaires favorisent l’engagement en fixant des objectifs, en fournissant un retour régulier et pertinent, et en instaurant une culture de responsabilité. »

Outre les valeurs présentées dans la section précédente, il est donc possible d’ajouter des valeurs prônant la responsabilité et l’imputabilité, en plus de l’excellence ou de la qualité.

Nous sommes donc à l’ère du gestionnaire équilibré exigeant et constant aussi bien au niveau de :

-          la qualité du travail, les règles d’éthique et la responsabilité ;

-          que du bien-être de chacun(e), la fierté et l’engagement dans la communauté locale.

Dans un contexte de restrictions et d’incertitudes économiques et politiques, nous avons constaté que de nombreux programmes de développement des compétences des gestionnaires et dirigeants avaient été amputés voire stoppés. À court terme, cela peut effectivement faire gagner de l’argent pour absorber le contrecoup des tarifs, mais à moyen et à long terme, le coût pour les organisations risque d’être élevé si les gestionnaires et dirigeants contribuent eux-mêmes à détruire leur organisation de l’intérieur avec un style de gestion destructeur.

Conclusion

Pour mobiliser dans le chaos, les équipes doivent avoir à leur disposition un cadre de référence clair. Les valeurs organisationnelles sont un guide intéressant pour contribuer à une prise de décisions pleines de sens. Elles sont également un élément distinctif pour les mobiliser les clients autour de sa marque.

Investir dans le développement des compétences des gestionnaires est également une priorité à maintenir malgré les budgets plus serrés pour s’assurer que l’organisation devienne plus robuste et résiste à une nouvelle crise.

RÉFÉRENCES 

[1] En ligne : https://www.ledevoir.com/monde/806766/monde-entre-ere-chaos-alarme-chef-onu

[2] En ligne : https://www.hbrfrance.fr/management/de-la-bienveillance-a-la-bienfaisance-en-entreprise-60875

[3] Barrett Values Centre : https://fr.valuescentre.com/resources#BarrettModel

[4] State of the Global Workplace – 2024: https://www.gallup.com/workplace/349484/state-of-the-global-workplace.aspx

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